Les personnes morales telles que des ONG ou syndicats peuvent jouer le rôle de lanceur d’alerte et faire l’objet à ce titre de représailles, il est donc nécessaire de leur accorder une protection. Celles-ci peuvent également jouer le rôle de relais d’alerte, en lançant l’alerte à la place des lanceurs d’alerte pour permettre à ces derniers de rester anonymes et ne pas s’exposer. Il est donc également important de leur permettre, sur le modèle des journalistes, d’avoir le privilège de protection des sources pour éviter que les lanceurs d’alerte voient leur identité révélée.
→ Les personnes morales jouent un rôle indispensable de filet de sécurité des lanceurs d’alerte anonymes
Les recherches sur les lanceurs d’alerte démontrent que la possibilité de lancer l’alerte de manière anonyme encourage souvent ces derniers à signaler ou divulguer des informations sur des violations de l’intérêt général. En pratique, les personnes morales et en particulier les ONG sont amenées à jouer ce rôle de « pare-feu » pour les lanceurs d’alerte, que ce soit :
> en saisissant les autorités en lieu et place de lanceurs d’alerte ;
> en publicisant en leur nom propre des signalements de lanceurs d’alerte.
Cette faculté de saisir des ONG pour que ces dernières lancent, à leur place, l’alerte auprès des autorités peut permettre de transférer la possibilité de faire aboutir l’alerte à des personnes morales dotées d’une expertise et d’une équipe rompue aux relations avec les autorités, tout en évitant à des individus souvent fragilisés de s’exposer.
→ Les personnes morales relais d’alerte sont exposées à des poursuites pénales et civiles et vulnérables à ce titre
La seconde hypothèse (publiciser en leur nom propre les signalements de lanceurs d’alerte) est couverte par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme ,relative à a liberté d’expression, et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. La première hypothèse – celle où une ONG saisit une autorité en lieu et place d’un lanceur d’alerte « individuel » – n’est pas du tout couverte par le droit à la liberté d’expression dans la mesure où il n’y a pas d’acte de communication d’une information auprès du public. Ainsi, des ONG de lutte contre la corruption se faisant le relais de signalements de lanceurs d’alerte auprès des procureurs ou d’autorités ne sont pas protégées par ce droit à la liberté d’expression.
Rappelons par ailleurs que l‘article 121-2 du Code pénal, prévoit que « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». En revanche, lorsque le lien entre la faute et le dommage est indirect, seule une faute caractérisée ou la violation délibérée de règles de sécurité justifie la mise en cause de la responsabilité pénale. Par contre, la personne morale peut être tenue pénalement responsable même si aucune faute ne peut être imputée à une personne physique auteur indirect.
Dans ce cadre, les personnes morales lanceuses d’alerte peuvent, en raison du comportement de leurs dirigeants, voir leur responsabilité pénale engagée assez aisément. Or, nombre de dispositions pénales font obstacle à l’alerte en droit français.
À cet égard, exclure les personnes morales du statut de lanceur d’alerte reviendrait à les priver paradoxalement de protections contre ces procédures.
Surtout, dans la mesure où les mesures d’enquêtes contre des ONG peuvent conduire à identifier la source de l’information en cause – le lanceur d’alerte – priver ces ONG de protection contre les poursuites pénales conduit de fait à considérablement fragiliser la capacité pour des lanceurs d’alerte de lancer l’alerte de manière anonyme en confiant à des ONG ou syndicats le soin de porter l’alerte à leur place
→ Le statut de tiers et de facilitateur ne couvre pas de manière adéquate les personnes morales
Le facilitateur est défini par la directive (article 5) : il s’agit d’une personne physique qui « assiste un lanceur d’alerte ».
Les tiers (article 4, 4, b.) sont des personnes « en lien avec les auteurs de signalement et qui risquent de faire l’objet de représailles dans un contexte professionnel, tels que des collègues ou des proches des auteurs de signalement ». Ce sont également (article 4, 4, c) les « entités juridiques appartenant aux auteurs de signalement ou pour lesquelles ils travaillent, ou encore avec lesquelles ils sont en lien dans un contexte professionnel ». La directive protège comme « tiers » les délégués syndicaux, ou représentants du personnel, ou encore des personnes responsables en interne des lignes de lancement d’alerte.
Le dispositif actuel ne permet donc pas la protection d’au moins deux catégories d’acteurs de l’alerte qui sont amenés à jouer un rôle crucial dans le processus d’alerte, à savoir :
> Les personnes morales apportant leur aide au lanceur d’alerte sans être implantées dans un contexte professionnel.
> Les personnes morales qui ne se contentent pas d’assister un lanceur d’alerte mais jouent le rôle de « porteur d’alerte », telles encore une fois que des ONG externes, ou les structures fédérales des syndicats.
Quel est l’intérêt peut avoir un lanceur d’alerte à saisir une personne morale en plus de la possibilité de s’adresser à un journaliste ?
> Nombre d’alertes présentent un degré important de technicité. Les lanceurs d’alerte vont souvent saisir des ONG ou syndicats ayant une expertise particulière dans le thème en question. Le travail réalisé par ces personnes morales permet à la fois d’aider le lanceur d’alerte à appuyer le fond de son alerte, et d’éviter l’engorgement des systèmes d’alerte puisque les ONG sont susceptibles de jouer un rôle de filtre. La qualité des signalements dont les autorités sont destinataires s’en trouve améliorée.
> Les ONG disposent de pouvoirs d’action dont ne disposent pas les journalistes. La médiation des personnes morales lanceuses d’alerte permet d’éviter à des personnes souvent vulnérables de s’exposer et de faire face, seules, aux autorités, en substituant au lanceur d’alerte « individuel » des équipes de travailleurs associatifs rompus aux relations avec les autorités publiques et disposant d’une large palette d’expertises.
> Enfin, les personnes morales peuvent servir d’interface permettant d’articuler l’action individuelle du lanceur d’alerte avec la nécessité d’une action collective.
L’extension du statut de lanceur d’alerte aux personnes morales implique que ces dernières encourront les mêmes peines civiles et pénales que les lanceurs d’alerte en cas d’alerte infondée.
Cependant, si l’on considère que l’intérêt de protéger les personnes morales lanceuses d’alerte réside précisément dans le fait que ces dernières sont davantage dotées d’expertise et moins vulnérables que des lanceurs d’alerte « individuels », cette extension de responsabilité ne doit pas poser de problème en pratique, d’autant plus qu’elles pourront invoquer, si cette disposition est adoptée, le privilège de l’immunité pénale.
→ Sans secret des sources, les personnes morales censées les aider peuvent mettre les lanceurs d’alerte en danger
L’article 16 de la directive européenne impose que soit respecté un devoir de confidentialité du lanceur d’alerte. Notons que l’article 9 de la loi Sapin II consacre une garantie de confidentialité de l’identité des auteurs du signalement et impose que les éléments de nature à l’identifier ne peuvent être divulgués qu’à l’autorité judiciaire, et ce avec son consentement.
Les organisations visées par l’alerte vont souvent être amenées à utiliser l’ arme des poursuites pénales pour faire identifier la source d’une information. Résultat : la garantie d’anonymat donnée par les syndicats et ONG aux lanceurs d’alerte devient illusoire, ce qui peut dissuader de lancer l’alerte ou exposer les personnes qui l’ont déjà fait aux représailles.
En outre, l’extension du statut de lanceur d’alerte aux personnes morales implique que ces dernières encourront les mêmes peines civiles et pénales que les lanceurs d’alerte « individuels » notamment en cas d’alerte infondée. On pense ici en particulier aux actions civiles et aux poursuites pénales les plus généralement entamées à l’encontre des lanceurs d’alerte « individuels » : diffamation publique/non publique, dénonciation calomnieuse, atteintes au droit de la concurrence, violation du secret des affaires, abus de droit…
Compte tenu de cette possibilité de poursuivre pénalement les associations à l’origine d’une alerte infondée, ce privilège de protection des sources ne constitue pas un droit supplémentaire pour les personnes morales, mais est en réalité un droit supplémentaire accordé au lanceur d’alerte : celui de ne pas voir son identité révélée si la personne morale en cause procède au lancement d’alerte de la mauvaise manière et fait l’objet pour cette raison de poursuites pénales.
Notons que le privilège de secret des sources, quand il est accordé, peut se lever sur la base de trois critères :
> « la gravité du crime ou du délit » ;
> « l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction » ;
> « le fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité ».